[Kitetoa, les pizzaïolos du Ouèb

Ibiza: prostituée et vitriolée

Je l'ai toujours vue là. Assise au bord de la route. Comme si elle prenait le temps de se reposer d'une longue marche. Cette vieille ibicenca vêtue de noir, le fichu serré sous son chapeau de paille, assise au bord de la route... Elle fait une pause... Elle est sans âge, le visage buriné par la sueur qui coule au soleil. Le matin, elle tape sur les branches d'un amandier avec un long bambou. Les amandes tombent sur un filet vert étendu sous l'arbre. Elle, courbée en deux, passe l'heure de midi, celle du cagnard, a ramasser les amandes pour les placer dans des sacs. Dans l'après-midi, elle marche le long de la route. Partie pour un mystérieux voyage. Où va-t-elle? Mystère... Vers sa finca? Vers la ville? Rejoint-elle le vieux marché? Qui sait... Ce que je sais, moi, c'est que chaque année je me dis que c'est la dernière fois que je la vois. Elle finira par mourir cette vieille femme sans âge. Et ce jour là, son habit traditionnel, noir comme son veuvage, disparaîtra avec elle.

Douce amante

Et puis, avec cette femme, s'éteindra une mémoire. Car cette femme a toujours été assise là au bord de la route prenant un peu de repos. A l'ombre de cet arbre. Je croyais la regarder, la scruter à chacune de nos rencontre. Mais en fait, c'était elle qui me dévisageait. Elle a toujours connu un défilé d'excentriques. Aussi loin que sa mémoire puisse remonter, cette vieille Ibicenca a vu défiler envahisseurs, pseudo-protecteurs, déserteurs, pirates, trafiquants, corsaires... L'île est toujours restée une sorte de havre de paix. Même aux pires heures du franquisme, la "tolérance" à l'excentricité y était plus grande. Le problème, c'est qu'aujourd'hui, la petite vieille, celle que j'appelais "abuela", n'est plus assise au bord d'une route. Elle ne voit plus passer des vélos, des vespas préhistoriques ou des 4L, elle est assise au bord d'une véritable autoroute. Les conducteurs confondent à toute heure du jour et de la nuit la route et la piste de danse qu'ils viennent de quitter. Les effets de l'alcool et/ou des pastilles d'extasy sont encore présents. Et la petite vieille est asphyxiée par les odeurs d'essence des milliers de voitures qui passent devant elle. Pas un seul des conducteurs ne la voit...

Ibiza a été le refuge des "hippies" dans les années 60-70. Des jeunes venaient se brûler les ailes ou refaire le monde dans ce petit paradis. Et il faut bien avouer que refaire le monde autour d'un feu de camp dans une petite crique d'Ibiza est aussi simple qu'attirant et agréable... Certains mouraient ici avec leurs espoirs rapidement transformés en désespoir. Le film More est une excellente mise en images d'un monde qui a véritablement existé. D'autres ont trouvé ici un mode de vie plus simple que celui qu'ils connaissaient dans leur pays d'origine, avec moins de contraintes... Mais il ne faut pas se leurrer. Il n'y a semble-t-il pas de lieu en ce bas monde dans lequel un être humain puisse vivre sans contraintes...

Forcée à la prostitution

Avec une belle renommée comme celle-là, avec le soleil de l'Espagne et des prix ridiculement bas les touristes ont afflués. On pouvait venir à Ibiza et croiser de jeunes hippies échevelés pour pas un rond. Soleil et paella pas chère en prime! Ils sont venus de toute l'Europe. Et même de plus loin. Les hôtels se sont construits. Plus hauts, plus larges, plus nombreux. Construits à la hâte. Ils ont d'ailleurs mal vieilli... Normal d'ailleurs puisque les tour operators forçaient les exploitants à pratiquer des prix trop bas: petites marges, petits investissements et pas d'entretien des bâtiments au fil des ans...

Peu à peu, la mort de Franco aidant, Ibiza est devenu un endroit étonnant où chacun pouvait se livrer à toutes les excentricités pourvu de ne pas emmerder ses voisins. Notamment les locaux. Alors, ils sont venus encore plus nombreux. De toute l'Europe et d'ailleurs. Ils sont venus de tous les centres financiers. Ils sont venus de toutes les provinces reculées. Ils sont venus se travestir ici car dans les rues de la ville comme sur les pistes de danse du Pacha, du Ku, du Glory's ou de l'Amnesia, personne ne jugeait. Ils sont venus ici exposer leurs corps nus aux salines sauvages parce que personne ne leur disait rien. Ils sont venus ici chercher tout ce qui leur manquait ailleurs.

Avec une nouvelle réputation comme celle là, il a fallu construire un peu plus. Il a fallu créer des infrastructures capables d'accueillir à n'importe quel coût des millions de touristes. Un flux ininterrompu d'avions. Un toutes les quatre minutes...

Il a fallu défigurer Playa d'en Bossa. Cette plage déserte est devenu un vaste complexe touristique qui tient plus du parc à bestiaux que de la plage...

Il a fallu créer des zones industrielles partout. Les centres commerciaux qui ont défiguré tous les abords des villes françaises à grands coups de commissions occultes n'ont rien à envier en termes de recherche architecturale aux hangars qui bordent les routes ibicencas.

Il a fallu construire de nouvelles routes, asphalter tous ces chemins de terre cahoteux qui faisaient le carme de l'île. Les fous du mouvement "pave the planet" seraient ravis s'ils savaient ce qui s'est fait ici...

Ibiza qui était jusque là une amante accueillante pour tous a été forcée à la prostitution. On l'a forcée à se coucher pour 3 clopinettes et des millions de touristes sans le sou, menés au lit glauque par les tour operators.

Vitriolée pour une bande de gros porcs...

Le soleil et la bringue, ça existe partout. Et maintenant, ça existe pour moins cher. Il y a autant de déconnade dans le Sud de la France, en Grèce ou je ne sais où et il a fallu inventer un nouveau truc afin de retenir la masse immense de touristes qui défigurent l'île pendant les deux mois d'été...

Les tour operators devaient bien trouver quelque chose pour justifier les prix plus élevés. Qui va aller passer une semaine à Ibiza pour le prix de deux ou trois semaines en Turquie, en Grèce ou de l'autre côté de la méditerranée. Où même, à Bali?

Il n'ont pas dû chercher bien loin. Il était dit qu'Ibiza disposait des plus belles boites d'Europe. On y dansait sur une musique qui ne passait nulle part ailleurs, sur des pistes dispersées entre des jardins à ciel ouvert. L'aube venait rappeler aux noctambules qu'il était temps de rejoindre le Montesol pour un gros petit déjeuner...

Alors il suffisait de faire croire qu"Ibiza avait une "nuit" unique. Une gigantesque boite de nuit. Ils ont fait de cette île une énorme boite. Environ 80% des affiches 4 X 3 qui défigurent tous les paysages sont consacrées aux boites de nuits. Bien sûr, la réglementation évoluant et les voisins n'en pouvant plus, ils ont dû couvrir les boites. On ne voit plus le ciel et les étoiles, mais le décor vaut encore le déplacement...

Quoi qu'il en soit, une boite, aussi énorme soit-elle, ne suffit pas à attirer des millions de gogos. Surtout que le prix de l'entrée pour lesdits gogos qui payent est terriblement élevé...

Une vaste opération de désinformation a donc été menée pour faire croire qu'Ibiza est perpétuellement -et à tout jamais pour les siècles des siècles (amen)- le lieu unique et central de l'univers en matière de créativité pour la vie nocturne.

Voilà donc que 10.000 débiles s'extasient parce qu'une boite (l'ex-Ku rebaptisé le Privilège) se transforme une fois par semaine en peep show. Manu mission organise des parties de jambe en l'air en public (depuis des années, à Pigalle, on appelle ça un peep show et cela n'a rien de novateur...) et tout le monde crie à la merveille. Les pseudo branchouilles qui mettent un point d'honneur à se définir comme des gens "cool" (sinon rien) répètent à loisir que l'"on ne voir ça qu'ici".

On rêve...

En attendant, Ibiza est devenue une grande boite et les gens n'y viennent plus que pour ça. Elle est donc désormais à la merci de ce qu'elle est: un phénomène de mode. Si demain les boites d'Ibiza n'ont plus la cote... Les méga infrastructures qui l'ont vitriolée tomberont en ruine dans l'attente d'un hypothétique touriste!

Reste un point toutefois qui permet d'ancrer les gogos. De les attirer comme une belle merde de chien bien fumante posée sur le trottoir attire les mouches: la drogue. Ben oui, on ne pouvait pas faire ici l'impasse sur ce petit phénomène qui est une partie même de la vie d'Ibiza. La tolérance généralisée aux excentricités de toutes sortes s'applique également à l'usage des drogues, légales et illégales. Les verres d'alcool sont remplis sans chichis. On le paye moins cher qu'ailleurs et les doses sont larges. On peut y fumer son joint sans risquer (faut pas pousser non plus en allant le faire sous les fenêtres du commissariat) de voir débouler un policier. On peut acheter des dizaines d'extasy sans angoisses autour ou dans les discothèques. Dans les soirées privées et plus branchées, des réalisateurs de films se droguent avec des produits plus onéreux que les pastilles chimiques. Il y a vingt ans, les "hippies", aujourd'hui déifiés par quelques jeunes visiteurs en manque d'idées, se droguaient à la coke et à l'héro. Peu en mourraient. Mais il y a tout de même eu quelques overdoses. Et la lente décrépitude des utilisateurs non avertis. C'était il y a longtemps.

Faisons enfin un petit rapprochement entre Ibiza et Defcon: il y a ce qui est visible pour la foule, ce qui saute aux yeux et que personne ne peut manquer en venant passer même une journée ou une nuit à Ibiza et ce qui se passe hors de la vue... A Defcon, c'est dans les chambres que les choses intéressantes se passent. Le reste, les quelques cheveux rouges ou verts des script kiddies dans la grande salle, le type un peu ralenti des services secrets qui organise une petite réunion "improvisée" avec la presse, c'est pour la galerie. Et bien à Ibiza, c'est pareil... Il y a la vie des noctambules que personne ne peut manquer. Et puis il y a les soirées et les dîners privés. C'est là qu'il se passe des choses intéressantes. Bon, un peu moins intéressantes depuis que la princesse est morte sans doute... N'empêche...

Mais ça ou autre chose, la petite vieille qui meurt asphyxiée au bord de la route, de toutes façons, elle ne l'a jamais vu. Et ce qu'elle voit est invisible pour les yeux des touristes ou des élus de cette île qui, de tous temps ont contribué à la défigurer!

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