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Lettre d'un enfant mal structuré de Mai 68
par Julien Millanvoye


Vous le savez, Kitetoa.com n'a pas l'habitude de publier des papiers sous une autre signature que Kitetoa. Ceci dit, de temps en temps, il y a une petite perle qui nous semble coller de très près aux idées que nous exposons régulièrement ici. Et cela nous donne envie de vous faire partager ces lectures.

Julien Millanvoye (*), rédacteur en chef de la revue Blast a ainsi publié un papier dans la rubrique Horizon du Monde qui nous a beaucoup plu.

On y retrouve par exemple le concept du règne du faux, l'idée que les hommes politiques on tendance à se faire élire pour régler leurs problèmes plutôt que ceux de ceux qui les ont élus, etc. Mais laissons Julien Millanvoye vous exposer sa vision de la chose tout seul.

Il nous a aimablement donné son accord pour que l'article soit reproduit ici. Bonne lecture...


Qu'on se le dise : le Parti socialiste a la gagne. Laurent Fabius et François Hollande ont commencé leur affrontement. Le corps chauffé à blanc, les mains puissantes et le crâne à vif, ils ont enfin pris pied dans l'arène, sous les huées et les encouragements d'un public en délire. Le règlement est simple : la mort politique de l'adversaire est l'issue préconisée par l'intérêt général. Dans l'ombre, Dominique Strauss-Kahn s'échauffe. Toujours jovial, Jack Lang va, lui, tous les trois jours à la télévision.

Qui peut douter que le premier parti de France, galvanisé - on le suppose - par son éclatant succès lors des dernières élections, soit prêt à retrouver les confortables fauteuils du pouvoir en 2007, afin de "préparer notre pays aux grands défis qui l'attendent", pour citer un lieu commun de la langue politique telle que la pratiquent encore nos dirigeants surannés ? Preuve : un grand colloque était organisé les 22 et 23 octobre, car nous sommes, notait le secrétaire aux études, Alain Bergounioux, dans une "phase d'inventaire". En conséquence de quoi, le PS a décidé de "réformer le réformisme". Ne restait plus qu'à savoir comment.

Toujours en forme donc, le PS brade. Et se laisse contaminer par la bataille des idées menée par la droite et son affligeant maître à penser, Luc Ferry : leur droit d'inventaire embrasse même Mai 68.

Hé ! les gars. Etes-vous bien sûr de n'avoir rien d'autre à faire ? Un droit d'inventaire sur Mai 68 ? Mai 68 ! C'était il y a 36 ans. C'était avant l'affaire Elf, avant celle de la Mairie de Paris, avant qu'un hélicoptère ne soit dépêché sur l'Himalaya à la recherche d'on ne sait plus quel magistrat, avant les lois Perben, avant la colère des chercheurs, avant l'élection de M. Pasqua au Sénat, avant les procès contre les internautes, bien avant que M. Bret ne nous appelle de Damas pour nous assurer que la libération des otages était proche.

Admettons cependant que l'examen de Mai 68 soit une des questions du moment. Qu'est-ce que le PS peut bien avoir à nous dire sur le sujet ? La perle se trouve dans le rapport introductif remis à François Hollande par un certain M. Baumel, qui écrivait sans rire : "Sans être un réactionnaire patenté, on peut sans grand danger émettre l'hypothèse que les nouvelles libertés personnelles dont ont pu bénéficier les hommes et les femmes de la génération 68, les possibilités qu'ils se sont données de s'évader des modèles familiaux plus traditionnels, n'ont pas eu que des effets entièrement positifs sur la structuration identitaire et psychologique de leurs enfants."

Ah oui ? Je suis l'un de ces enfants, et mes amis aussi. Chers leaders, vos enfants qui vous parlent tous les jours. Si cela vous plaît de vous croire seuls responsables de ma "structuration identitaire et psychologique", voulez-vous bien nous faire la grâce de nous laisser en être les seuls juges ? Si mon humeur intrigue tant le Parti, le Parti voudra-t-il bien m'écouter cinq minutes ?

Si oui, rassurez-vous, Messieurs les présidentiables. Epargnez votre précieux temps : je ne me porte pas si mal. Que ce soit dans la douleur ou dans la joie, mon esprit s'est déjà construit, et se construit encore, Dieu merci ! Et voici ce que me dit mon intelligence : je n'ai pas envie de voter pour vous. Et tenez-vous bien : personne que je connais n'imagine voter pour vous. Je n'ai pas voté pour Lionel Jospin et son programme "moderne". Je ne soutiendrai pas un PS qui prend ne serait-ce qu'une minute de son temps à faire l'inventaire de l'année où les Beatles ont sorti leur album blanc, Stanley Kubrick son 2001 et où, aux JO, Tommie Smith et John Carlos levaient leur poing ganté de noir en soutien aux combats contre la ségrégation raciale.

Oui, car je suis un enfant sage, en tout cas je l'ai été jusqu'ici, et je vous ai écoutés quand, à la télévision, entre deux pages de publicité, vous vantiez les mérites de la globalisation. Un mois de grèves et de manifestations ne m'a pas plus marqué que la répression policière au métro Charonne en février 1962, par exemple. Pour information, Mai 68, comme tous les autres événements des temps passés, présents et à venir, est un microchoc à remettre dans une perspective, précisément, globale. Le mois de mai à Paris, c'est votre problème, pas le mien : mon esprit a plus souffert lors de la chute des Tours, le 11 septembre 2001, que lorsque mon père me narrait ses courses-poursuites avec les CRS.

Vos enfants vont bien, merci pour eux. Ils ont juste, quand ils vous voient, froid dans le dos. Si je suis l'un de ces enfants, je suis aussi le produit du monde que des gens comme vous ont contribué à façonner, et dont le résultat, déplorable, pathétique, effraie.

"Il faut interroger (Mai 68), le remettre en cause comme tout héritage", précisait François Hollande le 24 octobre. J'ai justement le sentiment d'avoir hérité de François Hollande ; or, je ne connais pas un être humain qui ait envie d'entendre encore ce genre de discours. Ni qui croit sérieusement que MM. Fabius et Strauss-Kahn aient enfin compris leurs erreurs passées, pas plus que je ne connais quelqu'un qui conçoive de déposer un bulletin "Jack Lang" dans une urne.

Que les choses soient claires : il est hors de question de vous imaginer vous représenter en nous demandant de renouveler votre mandat. Nous, enfants des années 1970 et 1980, nous, bien souvent intérimaires, précaires, RMistes ou smicards, nous, sigles et chiffres, nous, c½urs de cible et contribuables, nous, force de travail et électeurs, nous vous demandons gentiment d'avoir un peu d'humilité et de vous effacer, si vous n'avez rien à dire. Si vos modes de pensée ne peuvent vous dicter autre chose que le combat de coqs sur la place du village ou le "droit d'inventaire" sur votre propre jeunesse, sur votre propre enfance, au fond, nous vous demandons de bien vouloir disparaître. Ne serait-ce que parce que vous vous feriez laminer par Nicolas Sarkozy le moment venu, et qu'il ne sert à rien de vous disputer la place pour avoir le droit de vous faire mettre en pièces par ce roquet.

J'aimerais d'ailleurs, moi aussi, faire des enfants, si je pouvais être sûr qu'ils seront heureux et que j'aurai les moyens et le temps de les élever autrement qu'en les scotchant devant "Récré A2". C'est pourquoi nous exerçons notre propre droit d'inventaire, mais sur le temps présent : notre avenir est encore devant nous et nous ne vous laisserons pas le ruiner. Nous vous avons assez vus.

Allez, soyons un peu indulgents. On fait un pacte ? Nous avons besoin de nos élus et vous avez besoin d'électeurs. Aidez-nous, au lieu de nous enfoncer. Franchement, croyez-vous vraiment qu'il est si difficile de trouver la voie à suivre pour faire votre devoir pendant que nous travaillons pour payer vos retraites ? Qu'il faut aller de colloques en séminaires pour avancer ? La ligne politique qu'il est urgent de tenir aujourd'hui est-elle si dure à trouver ?

Estimez-vous normal que ce soit Jacques Chirac qui reprenne devant le monde l'idée d'un impôt mondial contre la misère ? Cessez de vous voiler la face avec des débats d'un autre temps qui ne servent qu'à vous épargner une psychanalyse et regardez le monde tel qu'il est : le libéralisme a échoué. Les politiques de développement qu'il a dictées au monde ont échoué. Les entreprises n'ont pas d'âme. Même les pays dits riches vont mal. Les idéologies libérales des années 1980 ont vécu.

Inutile de chercher de ce côté-là. C'est tout simplement l'exact inverse qu'il vous appartient de bâtir. Cela devrait aller sans dire, mais comme on vous sent tentés, il n'est peut-être pas vain de vous rappeler ces quelques évidences. Ceux qui croient encore aux vertus du libéralisme sont priés de faire un tour dans les quartiers de Londres ou les villes des Etats-Unis que leurs homologues étrangers ne leur ont pas montrés lors de leurs cordiales rencontres.

J'ai menti, comme vous probablement. Il n'y a pas de pacte possible. Certes, vous êtes ridicules, mais je n'ai pas besoin de vous pour rigoler. Le libéralisme élevé en idéologie a appauvri votre peuple et il vous appartenait de le combattre en temps utile. De vous opposer à ses suppôts. De ne pas y croire. Vous datez. Vous n'avez d'autres méthodes et solutions à proposer que celles élaborées dans un autre temps, dans les merveilleuses années 1980 et dans un monde en guerre froide.

Aujourd'hui, au cas où vous ne l'auriez pas remarqué, l'ambiance s'est quelque peu réchauffée. Et je ne veux plus vous entendre. Disparaissez, ou faites ce pour quoi le peuple vous a mandatés. Laissez vos militants débattre et réfléchir sans les polluer de messages à caractère régressif, accomplissez plutôt, puisque je sais bien que vous vous agripperez au pouvoir jusqu'à votre dernier souffle, votre mission de représentants du peuple : défendez-le.

Si vous n'en êtes pas capable, merci de bien vouloir vous taire et de laisser la place à des idées neuves. Les forums sociaux européens et mondiaux en débordent, il n'y a qu'à se servir. S'il vous plaît, laissez-moi une chance de faire des enfants heureux. Faites place. Circulez. Votre temps a passé. Vous vous rêvez président ? Dommage, vous ne nous faites pas rêver.

Il est l'heure de prendre vos responsabilités : plus un mot.



(*) Julien Millanvoye est rédacteur en chef du magazine "Blast".

Cet article est paru dans l'édition du Monde datée du 02.11.04 dans la rubrique Horizons


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