Petit virage à droite
Rien de neuf sous le soleil. Jacques Chirac a obtenu lors de son élection une majorité plus qu'absolue (82,5 % des suffrages). L'appareil de l'Etat est sous son contrôle. Assemblée, présidence, Conseil constitutionnel, préfets, le retour à l'Etat-RPR (pardon UMP) est une réalité depuis la dernière présidentielle. Que pouvait-on attendre d'autre qu'une politique ultra-libérale, affichant un mépris complet pour toutes les autres sensibilités politiques? Rien. Doit-on s'étonner du virage serré à droite en cours au sein du gouvernement? Non. Mais le pointer du doigt ne mange pas de pain.
Le très médiatique ministre de l'Intérieur nous a gratifié ces derniers temps de sorties dont la phraséologie n'est pas sans rappeler la stratégie de Jean-Marie Le Pen: plus c'est gros, plus on parle de moi.
Nicolas Sarkozy veut « nettoyer la cité des 4.000 au karcher » (les habitants se sentent valorisés par ce concept), il veut « faire payer » le juge (en fait un collège de juges, ce qui démontre la profondeur de sa connaissance du système judiciaire français) qui a libéré un tueur récidiviste, il sent « la colère monter » en lui (sous entendu: ça va chier) lors de la libération de quelques parrains, il souhaite passer « d'une immigration subie à une immigration choisie » (vive les quotas qui ne disent pas leur nom et qui sont clairement anticonstitutionnels ? remplacez ouvriers ou « plombier polonais » par juifs pour voir ce que ça donnerait...). Dernier gag en date, l'invitation à Matignon de Jean-Marie Le Pen pour parler de l'avenir de l'Europe. Le Premier Ministre, Dominique de Villepin, fait bien, car comme chacun le sait, Jean-Marie le Pen est très conocerné par la construction européenne. Ah, me dira-t-on, mais voyez-vous, ce ne serait pas démocratique de ne pas inviter le patron d'une formation politique qui représente quelque chose comme 17% de la population.
Oui. Sauf que le parti de Jean-Marie Le Pen, mais surtout, une bonne part de ses électeurs, ne sont pas tout à fait d'accord avec certaines lois que la démocratie s'est choisie. Loin de là. Il est sans doute des situations où la démocratie doit savoir s'affranchir de ses propres règles pour se préserver. En outre, Jean-Marie Le Pen n'avait pas été invité à Matignon où il était persona non grata depuis Balladur en avril 1993 (ni à l'Elysée). Ce n'est sans doute pas pour rien. Mais déjà, Dominique de Villepin et Nicolas Sarkozy trouvaient pour leur part utile de recevoir Jean-Marie Le Pen, connu pour ses actes constructifs en matière démocratique, lorsqu'ils étaient respectivement ministres de l'Intérieur.
Pour qu'on ne se méprenne pas, il est utile de rappeler à ce stade ce que les électeurs de Jean-Marie Le Pen ont au fond du crane.
Pour eux, Jean-Marie Le Pen fait peur et avec lui, la vie des vrais français changerait, les parasites de balieue se calmeraient, lui seul sauverait les valeurs chères à notre beau pays, les valeurs morales ancestrales auraient raison de la lâcheté et de la légalisation de l'insécurité, il pourrait enfin agir contre cette presse isarélo-gauchiste au service des autres partis dits démocratiques qui le démolit. Il serait un rempart contre ces jeunes arabes qui les ridiculisent ainsi que les forces de l'ordre et qui nous gouverneront un jour si rien n'est fait... Il y a aussi ces personnels hospitaliers qui en ont assez de s'occuper de petits noirs, jaunes, etc. Tous ces vrais français ont une idée très démocratique de la vie en société. Ils fustigent volontiers les travailleurs et leurs acquis sociaux cause de la descente aux enfer de notre système économique. Ne parlons pas du lobby pro-arabe et pro-immigrant dont ils ont forcément ras-le-bol. Heureusement, dans leur esprit, Jean-Marie Le Pen fera le ménage en arrivant au pouvoir. Tiens... Faire le ménage... Voilà une expression reprise il y a peu (nettoyer) par notre bon ministre de l'Intérieur.
On ne manquera pas de saluer la banalilsation de ce genre d'idées par Dominique de Villepin lorsqu'il invite Jean-Marie Le Pen à Matignon... Pathétique, mais bien réel...
En outre, il y a dans l'air comme un petit air de déjà vu. D'un côté, Jacques Chirac qui est présenté comme acculé par des accusations de plus en plus précises, des ministres qui semblent, selon ces articles, en délicatesse avec la loi, de l'autre, un ministre de l'Intérieur qui flirte avec le populisme en tentant d'attirer les électeurs Front National sur le thème de l'insécurité (on a vu ce que cela avait donné en 2002) et enfin, un gouvernement qui promet depuis des années une embellie économique pouvant bénéficier à l'emploi sans que cela se concrétise. Ne parlons même pas des multiples atteintes aux libertés individuelles sur fond de lutte supposée contre le terrorisme. Ce point est « global » comme dirait l'ami George Bush, commun à toute la planète.
Bref, nous revoici dans la même configuration qu'avant les élections présidentielles de 2002. Dieu sait ce qui ressortira de 2007...
Comme quoi, voter peut être dangereux...
